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The Pan African Music Magazine
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Fulu Miziki : poubelle sera la révolution

Invité du Nyege Nyege Festival en Ouganda, Fulu Muziki avec sa « disco-house » est sans conteste l’une des révélations de cette cinquième édition. Dans une démarche d’art total, écologiste et féministe, la meute afrofuturiste débarquée de Kinshasa bouscule les codes avec un son unique.

À Kampala, tout le monde connaît La Villa. Épicentre créatif de la communauté Nyege Nyege, studio, label, lieu de vie et de résidence, la maison est un lieu de rencontres mais surtout de passage, en particulier à l’orée du Nyege Nyege Festival, fièvre électronique libératoire aussi surnommée twerkanda (en référence au twerk, et au wakanda) dont la cinquième édition secouait cette année encore les médias conservateurs ougandais autant que la nuit de Jinja. Avec sa programmation pointue, éclectique, panafricaine, le Nyege Nyege Festival invite environ 150 artistes internationaux à se produire en Ouganda et à chaque fois, La Villa se transforme en plateforme multimodale d’envergure. Depuis la mi-août, il arrive régulièrement aux voisins de voir surgir des grappes d’enfants hystériques vêtus de tenues étranges, dévalant la rue pliés de rire sous des casques mi-tribaux mi-spatiaux en strass et tuyaux de douche, chambres à air, fils de cuivre, clous. Qu’ils ne s’étonnent pas : Fulu Miziki est là. 
  

Pisko


Fulu Miziki, c’est « 
la musique des poubelles », une « afro-disco-house » aussi punk qu’artisanale, dont les superbes harmonies vocales reposent sur des rythmiques jouées exclusivement (à la différence de Kokoko ! qui utilise aussi l’électronique) sur du matériel de récupération prélevé dans les rues anarchiques de Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo. Meute performative, famille déglinguée autant qu’attachante, Fulu Miziki compte huit membres dont les noms doivent être cités : Pisko Crane, Lady Aïcha, Padou, Le Meilleur, Sékéle Mbélé, Abbe, Deboule et Tshe Tshe. À son arrivée en Ouganda, le groupe dispose d’un mois pour enregistrer son premier album à paraître sur Nyege Nyege Tapes, La Révolution, et préparer une création spéciale Nyege Nyege Festival, présentée sur la grande scène puis on air sur Boiler Room depuis la très justement nommée Eternal Disco Stage. « Une grande porte », déclare Pisko, solennel, à la veille du concert. « Depuis 14 ans jour pour jour », Pisko croit en Fulu Miziki et n’en démord pas. Pourtant, « depuis que je fouille les poubelles à Kinshasa, tout le monde pense que je suis fou, ensorcelé et que je ne sais pas ce que je fais : d’ailleurs même mes musiciens ont fui au début », ajoute-t-il. Aïcha, chanteuse, performeuse, sculptrice et costumière radicale, renchérit : « Les gens insultent mon mari, ça me fatigue. Son surnom, Pisko, ça vient de piskopathe en fait. Si on a du succès, on sera plus tranquille ». 
 

Noblé


C’est vrai que Fulu Miziki détonne dans le paysage. Tout d’abord, il faut un énorme pick-up pour transporter leurs instruments — démontables, paraît-il, mais encombrants quoi qu’il en soit : parmi eux l’Ouragan, un grand gong en acier, Milofo, deux longs tubes en PVC joué de préférence avec des tongs cassées, Pala Fulu, une traction à poulie rouillée héritée de leur voisin mécanicien, Sékébien, set de batterie écoresponsable aux bidons d’huile recyclés et le terrible Noblé, grinçant. « 
Construire ton instrument coûtera toujours moins cher que de devoir les louer », confie Pisko, qui sait par expérience que la vie d’artiste appelle une certaine précarité. Si les orchestrations sont riches et les textures soignées, l’ancien MC admet tout de même qu’il lui a fallu sept ans pour trouver un bon son, même si aujourd’hui, « je fabrique des instruments pour de nombreux musiciens congolais ». L’imagination illimitée de Fulu Miziki a progressivement conduit le groupe à concevoir une mythologie punk afrofuturiste dont l’imagerie trouve une extension remarquablement inventive dans ses costumes et ses masques. « Afro-quoi ? » s’inquiète Pisko. « On est des superhéros du futur africain », résume Aïcha avant d’ajouter fièrement : « mon costume, j’ai passé deux mois à le fabriquer ». 
 

Le Meilleur


« T’as encore rien vu », sourit Padou, ancien footballeur de D1 en RDC, en rangeant sa basse destroy en peau de chèvre après une toute dernière répétition dont le groove et l’énergie n’ont pas manqué d’attirer les curieux du quartier. Encore en sueur, les musiciens prennent la direction du site pour parfaire la scénographie de leur show. Aïcha emporte un grand sac. « Quand je marche, je chasse. Ce que je vois je le ramasse », explique-t-elle en chemin. Le tri est ici sélectif : ce soir, ce sont les bouteilles en plastique vides qui l’intéressent. Tout le monde s’y met et comme la non-gestion des déchets est notable à Jinja, le sac est vite plein. Ces bouteilles-là serviront de décor, « je vais les planter dans la terre pour jouer du contraste avec la belle jungle du festival, pour choquer les gens ». Car Fulu Miziki ne crée pas à partir de matériau de récupération que par simple souci d’économie. 

Le geste, entre l’art et la vie, est aussi écologique que politique. En 2017, l’activiste congolaise Fédorah Bikay dénonçait déjà la très mauvaise gestion des 7000 tonnes de déchets produites chaque jour par les habitants de Kinshasa qui, en plus de transformer la ville en décharge, détériorent les infrastructures de la capitale congolaise. « Notre quartier, Ngwaka, nous inspire beaucoup. Il est dynamique mais aussi très sale. Les poubelles, on vit avec, on dort avec, les odeurs sont atroces. Il y a beaucoup de mort-nés à cause de la pollution toxique. Donc on veut interpeller nos concitoyens et le gouvernement car nous voulons que la ville soit propre pour la génération qui vient », dit Aïcha en ajustant le sac sur son épaule. Et pour se faire bien comprendre, c’est en swahili, tshiluba, kikongo, kimongo et lingala que Fulu Miziki chante ses hits en puissance – comme l’entêtant « Eza naba réalité ». 
 

Aïcha, Consolée et La Duchesse


Le soir de leur premier concert sur une grande scène de festival, Fulu Miziki est concentré. Le groupe monte sur scène après Otim Alpha, pionnier de l’acholitronix ougandais, et Sheeba, superstar afropop aux danses affriolantes. S’ils créent la surprise, si de nombreux festivaliers diront ensuite « 
c’était quoi ça ? c’était génial, je n’avais jamais entendu ça ! », Fulu Miziki est déçu : le son n’était pas bon et les balances trop courtes pour leurs instruments artisanaux venus de nulle part, et compliqués à sonoriser. Peu importe, Boiler Room sera leur revanche : et en effet, plus proche du sol et du public, dans une configuration semblable à peu de choses près — les fêtards imbibés de LSD par exemple — à leur parcelle de Kinshasa, Fulu Miziki déploie une énergie brute, une joie contagieuse portée aux nues par les déhanchés de leurs copines La Duchesse et Consolée, les deux drag-queens kinoises les plus célèbres d’Ouganda. Pour Derek Debru, aux manettes du label Nyege Nyege Tapes et du Nyege Nyege Festival, Fulu Miziki est un pari gagnant dont « la résilience et la vision révoquent toutes les attentes de la musique du monde avec un son nouveau, tout à fait futuriste, électronique et surtout authentique. À rebours de l’actualité chaotique, ils incarnent un Congo créatif et innovant. Ils méritent le succès. » 
 

Derek, cofondateur de Nyege Nyege


« 
Notre musique, c’est une poubelle toute mélangée elle aussi », dit Pisko aux enthousiastes qui cherchent à comprendre la recette de leur fusion, unique en son genre. Percussions des baluba ou des bakongo, chœurs gospel, break hip-hop, lignes de basse funky, pulse disco… « J’adore MC Hammer ou Lionel Richie », révèle Pisko, tandis qu’Aïcha avoue en riant être « la fan n° 1 de la musique de Michaël Jackson, d’Angélique Kidjo et de Madonna, pour sa folie créative. » Puis ses traits se tendent : « Mais chez nous les Bantous, être une femme et une artiste en même temps, c’est double punition, tu n’es pas libre du tout. Je suis partie de chez moi à 16 ans. L’art et Fulu Miziki sont mes voies d’émancipation. » En 2018, elle crée d’ailleurs Mwasi Mwinda, « la femme-lumière qui éclaire son environnement, pour encourager les femmes à s’exprimer », une sculpture animée d’1 mètre 80 dont la robe robotique en circuits électroniques, ampoules et strass, est exposée à l’Institut Français de Kinshasa depuis l’exposition Kinshasa 2050 — Les femmes d’abord !. Grande prêtresse de la révolution des femmes congolaises, ambitieuses et créatives, elle donnera bientôt la main à Papa Mwinda, son roi progressiste.

Après une dernière escale à Kampala et une série d’ateliers costumes et instruments DIY (do it yourself, « fais-le toi-même »), Fulu Miziki rentre à Kinshasa. Comblés, « parce que ce n’est que le début vous allez voir », dit Pisko en bâillant. C’est sûr. Le groupe est actuellement au cœur d’un documentaire en cours de tournage par un réalisateur congolais. Et tandis qu’ils quittent La Villa, ils lancent à la volée le cri de guerre qu’ils entonnent lorsqu’ils estiment que le travail est bien fait : YANGO !

Pour aller plus loin : il y a aussi le documentaire Système K de Renaud Barret, avec Kokoko !, Béni Baras, Géraldine Tobé, Y as Llunga et Yann Mahestik Makanka, Majestik, Kongo Astronaute, Flory et Junior. « Au milieu de l’indescriptible chaos social et politique de la République Démocratique du Congo, une scène contemporaine bouillonnante crée à partir de rien, crie sa colère et rêve de reconnaissance. Malgré le harcèlement des autorités et les difficultés personnelles des artistes, le mouvement envahit la rue et plus rien ne l’arrêtera.« 

Lire ensuite : Transe avec les fous : le Nyege Nyege Festival vu par Sébastien Lagrave

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